Une lecture éthique et théologique de la vocation biblique
I. Le Bien et le Mal dans la pensée biblique : une dynamique de choix
Dans un contexte de guerre et de remise en question globale des repères moraux, la question du rôle éthique d’Israël dans le concert des nations se pose avec une acuité renouvelée. Ce texte que je vous présente explore les fondements bibliques de la morale juive, la nature du Bien et du Mal selon la Torah, et la mission spécifique assignée à Israël dans le cadre d’une éthique universelle. Il interroge également les conditions contemporaines d’une restauration possible d’Israël en tant que référence morale planétaire, non par supériorité, mais par exemplarité.
Contrairement à de nombreuses traditions dualistes, le judaïsme ne conçoit pas le mal comme une puissance autonome. Le Mal n’est ni un dieu noir, ni une fatalité cosmique, mais une déviation permise par la liberté humaine, intégrée dans le dessein divin.
Le verset fondamental à cet égard se trouve dans le Deutéronome :
“Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal […] Tu choisiras la vie.” (Deut. 30,15-19)
Le Bien est ainsi défini non par un absolu idéologique, mais par sa capacité à produire la vie, dans toutes ses dimensions biologique, relationnelle, sociale, spirituelle. Inversement, le Mal est ce qui engendre rupture, destruction, et négation de l’image divine en l’homme.
Ce fondement éthique est indissociable de la notion de responsabilité, chère à la tradition prophétique et rabbinique. Comme l’enseigne le Talmud :
“Tout est entre les mains du Ciel, sauf la crainte du Ciel.” (Berakhot 33b)
II. La vocation morale d’Israël : élection et exigence
L’élection d’Israël ne repose sur aucun critère de supériorité naturelle. Elle est un appel éthique, une mission à accomplir dans l’histoire :
“Vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte.” (Exode 19,6)
Loin d’instaurer une théologie de domination, cette désignation invite Israël à devenir un peuple-témoin, dont l’existence même incarne la possibilité d’une société fondée sur l’Alliance, c’est-à-dire sur un contrat moral entre l’humain et le divin, entre le droit et la miséricorde, entre la liberté et la Loi.
La figure d’Israël comme “lumière pour les nations” (Isaïe 42,6) ne suppose pas une position de supériorité, mais une fonction : montrer, par l’exemple, qu’une vie éthique collective est possible même dans un monde imparfait.
Il convient ici de rappeler que la Torah ne dissimule pas les échecs d’Israël : l’histoire biblique est traversée de fautes, de conflits internes, de chutes spirituelles. Mais ce sont précisément ces tensions qui donnent sens à l’exigence morale d’Israël : elle est toujours à reconstruire, dans chaque génération.
III. Israël aujourd’hui : vers une responsabilité morale renouvelée
La situation géopolitique contemporaine, marquée par des conflits prolongés, des dilemmes éthiques liés à la guerre, et des tensions sociales internes, met Israël face à une interrogation majeure : comment demeurer fidèle à sa vocation morale dans des circonstances où l’urgence sécuritaire semble primer sur toute autre considération ?
La tradition juive peut offrir à cette interrogation des repères structurants, au travers de trois principes fondateurs :
1. La sainteté de la vie (Kedushat haHayim)
La préservation de la vie humaine constitue un axe éthique central du judaïsme :
“Celui qui sauve une seule vie humaine est considéré comme s’il avait sauvé l’humanité tout entière.” (Sanhédrin 4,5)
Ce principe ne se limite pas aux citoyens israéliens : il implique une éthique de la guerre qui distingue le combat légitime de la violence gratuite, la défense du massacre, et impose une constante vigilance pour éviter la désubjectivation de l’ennemi.
2. La justice comme impératif intérieur (Tsedek tsedek tirdof)
“Justice, justice tu poursuivras…” (Deutéronome 16,20)
Ce verset redoublé appelle à une introspection institutionnelle permanente. Une démocratie morale est une démocratie capable de se remettre en question, de juger ses propres actions, de garantir des contre-pouvoirs éthiques y compris en période de guerre.
3. L’écoute du cri de l’Autre (Shmi’at haTza’akah)
L’éthique biblique commence par une écoute
“J’ai entendu le cri de Mon peuple…” (Exode 3,7)
De même, Israël ne peut ignorer les cris qui s’élèvent autour de lui qu’ils soient justifiés ou instrumentalisés, qu’ils viennent d’amis ou d’ennemis. La capacité d’entendre même ce qui dérange est le fondement d’une conscience morale vivante.
Conclusion : une mission éthique pour le XXIe siècle
La promesse d’Israël ne réside pas dans une supériorité matérielle ou militaire. Elle repose sur sa capacité à habiter l’Histoire en conscience, à conjuguer sécurité et justice, souveraineté et responsabilité.
Dans un monde en perte de repères, Israël peut redevenir une boussole morale non pas en dictant des lois aux autres, mais en incarnant, dans sa propre existence politique et sociale, les valeurs d’une éthique fondée sur la vie, la justice et la compassion.
Cette tâche est ardue. Elle expose à l’échec, à la critique, à l’incompréhension. Mais c’est précisément dans cette difficulté que réside sa noblesse. Israël n’est pas appelé à être un modèle figé, mais un laboratoire vivant de morale appliquée.
Et peut-être est-ce là le plus grand message que la Torah propose à l’humanité : que le Bien n’est jamais donné, mais toujours à construire.
Valérie Grumelin